Quel avenir pour l'ETCS et ATO ?

En Suisse, l'installation de l'ETCS (European Train Control System) poursuit le but de la mise en place d'un système de sécurité ferroviaire uniforme sur un plan européen, ceci afin de permettre un trafic ferroviaire dense, rapide et surtout facilement interopérable sur un plan transnational. 

Cette idée a émergé il y a presque trente ans de cela et avec l'apparition récente de l'ETCS Baseline 3, il est temps de faire un bilan de ce qu'aura amené ou non l'ETCS depuis son introduction progressive en Suisse. 

Pour pouvoir analyser les incidences de l'ETCS sur nos entreprises de transport ferroviaires tout comme sur notre système ferroviaire suisse de manière plus générale, il faut analyser les incidences qu'a ce système sur les divers points suivants :

  • Ratio entre coûts et plus-values par rapport à d'anciens systèmes de sécurité arrivant en fin de vie au niveau des enclenchements et des divers appareils de sécurité au niveau de l'infrastructure tout comme des véhicules
  • Sécurité
  • Gains ou pertes de capacité, optimisation des cadences de circulation
  • Interopérabilité réelle sur le plan européen/sur le trafic de transit transfrontalier  

Vous trouverez ci-après nos esquisses de réponses à ce sujet, selon notre expérience d'utilisateurs et de professionnels du chemin de fer.

ETCS de niveau 2
L'interopérabilité au niveau européen n'a pas été atteinte. En Suisse, par exemple, chaque ligne équipée de l'ETCS de niveau 2 dispose de ses propres prescriptions et paramètres. Avec l'ouverture prochaine de la ligne du Ceneri, ce seront au niveau national cinq lignes ETCS de niveau 2 qui auront par conséquent chacune leurs propres spécificités et prescriptions.  

Le niveau de sécurité SIL 4 (Security-Level 4) nécessaire sur ces lignes n'a pas non plus apporté toutes les garanties, comme l'a entre autres démontré un incident assez fâcheux lié à un problème d'odométrie sur la ligne ETCS de niveau 2 entre Lausanne et Villeneuve à l'été 2019.

Ce qui est encore plus surprenant et problématique est qu'en cas d'irrégularités imputables par exemple au système, de nombreuses procédures sont à mettre en œuvre par le personnel roulant et le personnel des centres d'exploitations qui échappent à tout contrôle dudit système. Ces procédures concernent par exemple diverses actions qui ne sont pas à considérer comme étant "normales" en ETCS de niveau 2 comme par exemple les mouvements de manœuvre ou le départ de trains dans des modes d'exploitation autres que "Full Supervision (FS)". 

Il est également intéressant de noter que les prescriptions en cas d'irrégularités sur les lignes de niveau 2 représentent un volume de plusieurs classeurs fédéraux bien remplis, ce qui rend assez peu probable que même avec des journées d'instructions et de mise à niveau conséquentes, le personnel se sente à 100% sûr par rapport aux bonnes attitudes à adopter face à une situation donnée. De plus, il a été constaté que contrairement à ce qui avait été promis initialement, la capacité n'a pas pu être augmentée (bien au contraire !) lors de la modification de certaines lignes pour les faire passer en lignes ETCS de niveau 2. Par conséquent et en regard des divers points exposés précédemment, il peut être intéressant de se poser la question du futur ferroviaire dans lequel nous mènera un éventuel investissement massif dans des lignes ETCS de niveau 2. 

ETCS de niveau 1 LS
La totalité du réseau avec signaux extérieurs a été équipée pour une circulation avec l'ETCS de niveau 1. En fonction de l'équipement présent sur les véhicules qui les parcourent, ces lignes peuvent être soit parcourues en ETCS de niveau 1, soit à l'aide des systèmes de contrôle de la marche des trains déjà existants (ZUB, arrêt automatique, etc.). Il a cependant été constaté qu'avec les véhicules équipés pour l'ETCS de niveau 1 (Baseline 3), des pertes de temps ont été enregistrées en raison de la plus grande prudence dont doivent faire preuve les mécanicien-ne-s de locomotive au niveau de la conduite. 

Cela pourrait potentiellement remettre en cause le niveau de stabilité et de ponctualité du système ferroviaire suisse dans sa globalité. De plus, ce nouveau mode d'exploitation n'apporte aucune amélioration générale de la sécurité par rapport à tous les anciens systèmes de sécurité employés jusque-là en Suisse. Là encore, il faut se poser la question suivante : quel est l'avenir de l'ETCS de niveau 1 ? Est-ce une solution transitoire dans l'attente que toute l'infrastructure soit équipée de l'ETCS de niveau 2 ou est-ce un futur mode d'exploitation qui est appelé à rester implanté, malgré les potentielles problématiques de ponctualité et de stabilité précédemment évoquées ? 

ATO (Automatic Train Operation, conduite autonome/semi-autonome)
En 2016, l'unité "smartrail 4.0" a été mandatée pour effectuer des essais avec ATO, ceci afin de trouver des solutions pour une conduite autonome des trais en GoA (Grades of Automation - niveaux d'automatisations) 3 et 4. Les mécanicien-ne-s de locomotive, comme toutes les éventuelles personnes intéressées à effectuer ce travail ne se souviennent que trop bien de l'euphorie qui régnait à ce moment-là au niveau des directions des compagnies de chemins de fer suisses. 

On nous promettait un radieux avenir 100% digital et sans personnel à l'avant des trains. Depuis 2016, les choses sont devenues plus claires : il est bien entendu possible d'un point de vue technique que des trains roulent tout seuls, seulement, cela est extrêmement complexe et onéreux à mettre en œuvre au niveau suisse pour plusieurs raisons. En effet, ce qu'un métro en circuit fermé est capable de faire est impossible à transposer à un système ferroviaire dont la complexité est énorme: vitesses différentes en fonctions des types de trains et d'exploitations (trains de voyageurs (IC ou trains régionaux, par exemple), trains de marchandises composés de matériel roulant non uniferme, etc.). 

De l'euphorie de 2016 il ne reste plus que la réalité de 2020. Certains essais ATO (GoA 2 et plus 3 ou 4 comme initialement espéré) ont eu lieu et ont toujours lieu, notamment sur l'infrastructure de la SOB ou sur la ligne CFF Lausanne-Villeneuve. Cependant, leur utilité est assez contestable étant donné qu'en GoA 2, le train roule certes tout seul mais toujours sous la supervision d'un-e mécanicien-ne, amené-e à reprendre les commandes à tout moment si le système commet une erreur (ce qui semble être encore assez souvent le cas...). Par conséquent, il est aisé de constater que GoA 2 n'apporte rien, ni du point de vue de l'exploitation (pas d'augmentation de la sécurité ni de la capacité) ni du point de vue financier. 

De plus, une éventuelle automatisation partielle accentuerait encore l'ennui chez les mécanicien-ne-s de locomotive, ennui qui amène invariablement à des inattentions qui peuvent potentiellement faire planer un danger sur la sécurité de l'exploitation. 

La communication angélique et naïve sur les apports réels de la technologie au niveau ferroviaire dans le futur a entre autres eu pour incidence les problèmes de recrutement que l'on connaît à l'heure actuelle. En effet, qui souhaite encore apprendre et exercer un métier dont les employeurs même prédisaient en 2016 la disparition à court-moyen terme ? 

Quel avenir ?
D'ici fin avril, l'Office fédéral des transports (OFT) va décider de quoi l'avenir ferroviaire helvétique sera fait. Nous sommes conscients de la difficulté actuelle de prendre, aujourd'hui mais pour le futur, les bonnes décisions à ce sujet. 

Cependant, nous aimerions tout de même rappeler que les solutions techniques les plus complexes et/ou les plus onéreuses ne s'avéreront pas forcément être les meilleures à l'avenir. En effet, dans 10 ans, le meilleur chemin de fer européen sera tout simplement celui qui aura réussi à faire en sorte d'être au bénéfice d'un matériel roulant fiable, de systèmes de sécurité simples mais efficaces et de personnel formé, compétent et motivé... Au final, pourquoi ne pas incorporer à cette recette simple mais efficace une pincée de technologie, apportant réellement quelque chose au système ferroviaire dans son ensemble pour un prix qui saura rester supportable pour tous, entreprises, pouvoirs publics et clients ? 

Nous renvoyons à la lettre d'information VSLF n° 598 et n° 620.

VSLF no 626, 20 février 2020 RG/SG/ME/HG