Discours

Discours du Conseiller fédéral Albert Rösti à l’Assemblée générale du VSLF

A la tête des transports publics

Berne, 16.03.2024 – Discours du Conseiller fédéral Albert Rösti à l’Assemblée générale du Syndicat suisse des mécaniciens de locomotive et aspirants (VSLF), Fribourg, 16.03.2024

Les mots effectivement prononcés font foi

Monsieur le Président,
Chères mécaniciennes et chers mécaniciens de locomotive,
Chères aspirantes et chers aspirants,
Mesdames et Messieurs,

C'est un grand plaisir pour moi de participer aujourd'hui à votre assemblée générale, ici à Fribourg. Depuis plus d'un an, je dirige le Département de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC). 

Il est essentiel pour moi de pouvoir échanger avec des groupes professionnels aussi importants que vous pour mon département. Je suis sans doute à la tête du DETEC, mais vous êtes à la tête des trains, ce qui est bien plus important pour les passagers.

A cette position exigeante et pleine de responsabilités, vous percevez en outre de manière pertinente la manière dont se déroule l'exploitation ferroviaire, de ce qui va bien et de ce qui ne va pas. C'est de ces expériences et de ces contributions que je souhaite profiter aujourd'hui ! 

Je vous parle en attendant volontiers des thèmes qui concernent le VSLF et qui nous occupent dans la Berne fédérale.

(Parlé en francais:) Et je voudrais aussi vous remercier pour tout ce que vous faites 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Pour que le système ferroviaire fonctionne, il faut que le personnel soit présent à toute heure du jour et de la nuit. Ce samedi également, de nombreux membres de votre syndicat travaillent.

Votre profession connaît depuis longtemps une pénurie de personnel qualifié et de nombreux mécaniciens de locomotive partiront à la retraite dans les années à venir. C'est un grand défi. Car s’il n’y a pas suffisamment de mécaniciens, certains trains risquent de rester à quai. Vous connaissez les exemples qui sont survenus ces derniers temps, y compris ceux médiatisés dans l’espace public. Pour que le métier de mécanicien de locomotive reste attractif, il faut en premier lieu de bonnes conditions de travail. 

Il faut des modèles de travail flexibles et des possibilités de travail à temps partiel, afin de pouvoir compenser les horaires irréguliers et le week-end. Cela permettrait également de recruter plus de femmes pour le métier de mécanicien. Leur part a certes augmenté ces dernières années (aux CFF par exemple, elle est passée de 3,3 à 7,3% au cours des dix dernières années), mais elle reste encore inférieure à 10%. Il existe encore un grand potentiel dans ce domaine !

Outre les modèles de travail à temps partiel, des modèles de formation attrayants, le relèvement de l’âge de la retraite, le potentiel de personnes souhaitant reprendre le travail, mais aussi tout simplement l'utilisation de matériel roulant moderne, peuvent contribuer à maintenir l'attrait de la profession et à trouver suffisamment de personnel.

Dans ses objectifs stratégiques, le Conseil fédéral exige des CFF qu'ils mènent une politique du personnel progressiste et socialement responsable, qu'ils offrent des conditions d'emploi attrayantes et qu'ils s'engagent à permettre à leurs employés de concilier vie familiale et vie professionnelle au travers de mesures appropriées. Il vérifie également chaque année que ces objectifs sont bien atteints. Il incombe aux partenaires sociaux de se mettre d'accord sur les détails dans le cadre des conventions collectives de travail.

Cette thématique m’occupe également et, avec le président de l’EPFZ, le Professeur Joël Mesot, nous en avons discuté l’automne dernier. Les EPF et le DETEC souhaitent renforcer leur collaboration afin qu’il y ait suffisamment de personnel qualifié dans les professions techniques. 

Les entreprises ferroviaires, la Confédération et vous-mêmes, en tant que partenaires sociaux, devons continuer à bien collaborer en ce qui concerne l'image de la profession, la politique du personnel et les conditions d'embauche.

Comme dans de nombreuses autres professions, les changements techniques et la numérisation constituent un autre grand défi. Chaque changement comporte son lot d’exigences et apporte des opportunités et des risques. Il faut que vous et nous réussissions à rendre ces opportunités saisissables.

La Confédération s'engage à poursuivre le développement et la numérisation des chemins de fer. Celle-ci rendra nos chemins de fer plus performants. C'est la seule façon pour le rail de conserver et de développer sa place dans le monde moderne des transports. Je peux très bien comprendre que les projets de conduite autonome et d’autres outils puissent susciter des craintes chez vous.

Mais en encourageant de tels outils, nous ne voulons pas rendre les mécaniciens de locomotive superflus, mais les soutenir. On aura toujours besoin de mécaniciens de locomotive, sauf peut-être sur certaines lignes de métro clairement délimitées. Nous ne pouvons pas faire circuler des trains en trafic mixte à travers le pays sans accompagnement.

Il reste important que le personnel des locomotives puisse réagir et intervenir en cas d'événements imprévisibles. Le personnel doit signaler systématiquement et rapidement les défauts et les perturbations aux services compétents. Les spécialistes des entreprises ferroviaires dépendent de vous, chers mécaniciens de locomotive, pour votre expérience et vos connaissances spécifiques.

Un autre défi pour notre pays, qui est très important pour moi en tant que chef du DETEC, concerne également le trafic ferroviaire : la garantie de l'approvisionnement en énergie. Le trafic ferroviaire dans toute la Suisse, par exemple, nécessite 6,822 millions de kilowattheures d'électricité par jour – cette électricité doit être disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et de manière absolument fiable.

La Suisse va réduire progressivement les énergies fossiles. C'est pourquoi nous avons besoin rapidement de plus d'électricité en compensation, et ce à partir d'énergies renouvelables. La loi fédérale sur la sécurité de l'approvisionnement en électricité grâce aux énergies renouvelables soutient cet objectif. Nous voterons à ce sujet en juin, et je m'engage avec conviction en faveur de ce projet.

J'en viens à un autre défi : l'Europe. Le monde ferroviaire suisse n'est pas une île. Nous sommes (comme pour le trafic routier) un pays de transit, notamment pour le transport de marchandises. Les liaisons ferroviaires internationales sont importantes pour le tourisme suisse et la place économique. Les réseaux régionaux transfrontaliers permettent aux pendulaires de se déplacer au-delà des frontières nationales. Le système ferroviaire suisse fait partie du système ferroviaire européen et doit être aussi compatible que possible avec celui-ci.

Les systèmes de contrôle de la marche des trains, de sécurité et de signalisation standardisés au niveau européen (ERTMS ou ETCS) sont une réalité en Europe. La question n'est pas de savoir si nous voulons ou non de ces systèmes chez nous, mais comment organiser au mieux leur mise en œuvre. Pour cela, toutes les parties concernées devraient tirer à la même corde.

Les évolutions qui auraient pu succéder aux anciens systèmes nationaux de contrôle de la marche des trains (ZUB, SIGNUM) et qui ont les faveurs du VSLF ne sont pas compatibles avec les systèmes européens et leur évolution. Lors de l'introduction de l'ETCS, votre association a toutefois apporté de nombreux apports importants, merci beaucoup ! Vos contributions ont notamment permis d'ajuster le système de contrôle de la marche des trains afin que l'exploitation puisse se dérouler de manière optimale.

L'harmonisation conséquente de la technique et des prescriptions dans le cadre européen réduit également la complexité du quotidien professionnel des mécaniciens de locomotive. Lors des trajets au-delà des frontières nationales, il n'est plus nécessaire de se battre avec deux systèmes différents. Dans le cadre des négociations actuelles avec l'UE, nous discutons également avec la Commission européenne d'une ouverture contrôlée du trafic ferroviaire international.

Notre pays s'est déjà engagé en faveur de cette ouverture vis-à-vis de l'UE en concluant l'accord sur les transports terrestres il y a plus de vingt ans. Le Conseil fédéral a déjà convenu avec l'UE, lors des discussions préliminaires aux négociations, qu'en cas d'ouverture contrôlée du marché, le niveau des salaires et des prestations sociales suisses serait protégé pour les mécaniciens de locomotive et le reste du personnel ferroviaire.

Les partenaires sociaux, y compris le VSLF, ont été et seront étroitement impliqués dans la préparation des négociations. Je tiens à remercier chaleureusement le VSLF pour sa collaboration constructive lors de la consultation !

La Suisse dispose d'un réseau ferroviaire dense et d'un horaire qui l’est encore plus. Les mécaniciennes et mécaniciens de locomotive jouent un rôle central dans ce système de transport complexe ; ils sont d'importance systémique. 

La Confédération veut prendre soin de la profession et la soutenir dans son développement. 

Merci beaucoup pour que ce que vous réalisez chaque jour ! 

https://www.uvek.admin.ch/uvek.html

Cadeau au Conseiller fédéral Albert Rösti : une balise ETCS. Originale, provenant de Löchligut, près de Berne, installée le 13 février 2006.

 


Monsieur le Conseiller fédéral Rösti, 

Cordiale bienvenue à notre Assemblée générale ici à Fribourg et merci beaucoup pour l’intérêt porté au personnel des locomotives et au VSLF. 

Nous avons réfléchi à nos points communs et à nos parallèles. 

  • Vous avez souvent des tremblements de terre politiques avec votre fonction ; nous avons les secousses du nouveau train Bombardier.
  • Vous êtes à la tête du département ; nous sommes à la tête du train.
  • Vous conduisez en homme d’État; nous conduisons – électriquement.
  • Vous avez l’administration en-dessous de vous ; nous l’avons en-dessus de nous.

Rede Alexander Muhm, Leiter SBB Güterverkehr


Discours de Hubert Giger, président VSLF

Le VSLF a été fondé en 1876 à Herzogenbuchsee en tant qu’association professionnelle du personnel des locomotives. C'était il y a presque cent cinquante ans. Ainsi, dans deux ans, nous fêterons notre 150èmeanniversaire. Les inscriptions pour les sponsors et donateurs intéressés et motivés viennent d'être ouvertes, nous nous réjouissons de recevoir des offres et des idées. 

Le métier de mécanicien de locomotive a une histoire. Notre honorable profession a déjà connu de nombreuses transformations. Citons le passage du service à deux au service à agent seul, l'introduction des systèmes de contrôle de la marche des trains, l'évolution des locomotives à vapeur vers la traction électrique ou encore les machines entièrement électroniques, voire numériques. Une nouveauté ne nous effraie plus tellement. 

De même, il est aujourd'hui tout à fait normal que nous soyons seuls aux commandes sur des trains de marchandises de 2 000 tonnes ou sur des trains de voyageurs transportant jusqu'à 1 000 personnes. Et cela ne changera pas de sitôt.  

Et pourtant, le travail du mécanicien de locomotive reste fondamentalement le même qu'il y a cent cinquante ans. Ce qui est resté, ce sont les horaires irréguliers, la grande responsabilité, le travail sans supérieur hiérarchique et une activité utile et épanouissante. La vue sur le paysage, la nature et le pays à toutes les heures du jour ou de la nuit et à toutes les saisons est également restée. Sauf si l'on emprunte de plus en plus souvent les nombreux tunnels, longs et coûteux...

Aujourd'hui, ce samedi, 31% des mécaniciens ont congé et une partie d’entre eux a travaillé jusque tard hier soir. Il serait donc possible à environ 20% de nos membres de participer à cette assemblée générale aujourd'hui. Cela représenterait environ 500 mécaniciens. Aujourd'hui, environ un tiers d'entre eux sont présents. Et cela lors d'un samedi de congé, qui est très précieux pour nous, nos familles et nos amis. Merci à tous les collègues pour l'intérêt que vous portez à notre vénérable syndicat qui est en pleine forme. 

Le VSLF est politiquement neutre. Nous représentons notre profession, chaque membre peut avoir et faire connaître sa propre opinion sur les conditions cadres politiques. Ainsi, en tant que mécaniciens de locomotive, nous serions en principe engagés pour les transports publics. Et en même temps, nous n'avons que trop besoin de notre voiture pour nous rendre au travail et le temps passé dans les bouchons pour nous rendre au travail est du précieux temps libre perdu. Ceci est particulièrement vrai lorsque les chemins de fer obligent les jeunes mécaniciens à couvrir différents dépôts avec leur voiture privée et à leurs frais. En conséquence, nous soutiendrions naturellement aussi le développement des routes. Cet exemple illustre de manière exemplaire la raison de notre neutralité politique.

Au sein de notre association professionnelle, les opinions et les attitudes sont très diverses. Ceci est à la fois juste et bon. Cela ne nous empêche pas de nous engager ensemble pour de meilleures conditions de travail pour le personnel des locomotives et tous les cheminots travaillant de manière irrégulière. Nous sommes organisés sur une base démocratique et nous offrons un engagement.

Le VSLF s'est établi comme un partenaire social fiable, raisonné et compétent. Nous ne sommes pas prévisibles dans la mesure où nous reflétons nos propres opinions et convictions et ne nous laissons pas enfermer dans un schéma de pensée prédéfini. Notre indépendance nous offre cette chance importante. 

Nous négocions nous-mêmes nos propres conditions de travail et sommes donc des représentants des travailleurs au sens propre du terme.

Exercice 2023

Voici quelques extraits du rapport de l'exercice écoulé du VSLF, dont nous reparlerons en détail cet après-midi.

En l'espace de seize ans, nous avons plus que doublé le nombre de nos membres, qui est passé de 1'165 à plus de 2'500 actuellement.

Concrètement, chez Thurbo SA par exemple, le nombre de membres a augmenté de 32% en 2023. Dans la section Ticino, le nombre de membres a augmenté de 23% et a même doublé au cours des quatre dernières années. Nous devons ce succès de la section tessinoise et chez Tilo SA à notre jeune président de section Pietro Pangallo et à ses collègues. Cette performance mérite des applaudissements. Grazie Pietro ! 

Le comité central du VSLF travaille de manière excellente et la collaboration au sein de l'équipe fonctionne. Toutes les fonctions sont bien occupées et tous les secteurs agissent sans problème. C'est un vrai plaisir. Et bien entendu, à l'exception de la fonction de responsable des membres et de la base de données, toutes sont occupées par des mécaniciens actifs. Un système de milice par excellence avec le soutien de nos partenaires externes. Un grand merci pour leur soutien.

Le VSLF représente entre-temps une bonne moitié du personnel des locomotives des chemins de fer à voie normale en Suisse, dont environ un quart n'est pas syndiqué. Ce haut degré d'organisation nous donne la légitimité de parler et de négocier pour le personnel des locomotives, et donc pour nous-mêmes. Nous assumerons également cette tâche de manière responsable lors des négociations prévues sur la CCT des CFF SA.

 

CCT / Négociations

Le VSLF est partenaire social de sept grandes entreprises de chemins de fer à voie normale en Suisse et participe aux négociations sur les conventions collectives de travail (CCT).

Il est intéressant de constater que nous pouvons négocier les augmentations de salaire annuelles dans l'ensemble des entreprises, mais pas le salaire effectif du personnel des locomotives. Le niveau salarial des différentes fonctions est déterminé uniquement par les entreprises, du moins en ce qui concerne les CFF et le BLS. Cela signifie que les entreprises décident à qui elles donnent quel salaire pour quel travail. 

Pour les métiers spécifiques aux chemins de fer, il n'y a pas de moyenne de la branche à laquelle se référer, car les quelques entreprises qui la composent sont la branche à elles seules.

Cette situation explique peut-être aussi pourquoi, de notre point de vue, le mécanicien de locomotive ne reçoit pas la rémunération qui lui est due. Nous avons derrière nous tout de même au total six bonnes années de formation, nous avons de grandes responsabilités et de larges connaissances techniques, nous travaillons en horaires irréguliers, nous apprenons des langues étrangères et nous courons toujours le risque de perdre notre travail pour des raisons de santé.

Le salaire du personnel des locomotives ne pèse dans la pratique pas lourd dans les coûts globaux de la production ferroviaire. Pensez aux coûts du matériel roulant, de l'infrastructure, de l'entretien, de l'administration et de l'innovation. 

 

Conditions de travail

Bien que nous ne puissons pas faire de télétravail, que nous ne puissions pas travailler sur le chemin du travail, que nous devions être au poste de travail à la minute près et que nous ne puissions pas planifier nous-mêmes nos heures de travail, nous ne renonçons pas à des conditions de travail modernes et attrayantes. Ou à une compensation pour cela. 

Qu’est-ce que le Conseil fédéral a prescrit dans les objectifs stratégiques fixés aux CFF au point 3.1 ? « Les CFF mènent une politique du personnel progressiste et socialement responsable, offrent des conditions d'emploi attrayantes qui garantissent leur compétitivité et s'engagent par des mesures appropriées à concilier vie familiale et vie professionnelle. Ils augmentent la part des femmes dans l'entreprise et en particulier dans les postes de cadres ».

Si l'on met en parallèle l'attractivité d'une profession et la proportion de femmes, le personnel des locomotives se porte effectivement très mal avec environ 6% de femmes. La question de savoir pourquoi les femmes doivent être particulièrement encouragées à occuper des postes de cadres se pose donc doublement. 

Ce qui est plus important, ce sont les « mesures permettant de concilier famille et travail ». Nous saluons expressément cette exigence du Conseil fédéral envers les CFF, bien que de telles directives devraient aller de soi pour des entreprises qui se veulent attractives et qu'elles constituent une clé importante pour recruter du personnel utile et fidèle. 

Le rêve des chemins de fer et de l’infrastructure d'avoir des trains absolument flexibles, qui ne circulent plus selon un horaire fixe, est loin d'être seulement un rêve. La numérisation doit le rendre possible. Le souhait d'avoir un personnel tout aussi flexible en est la conséquence logique. Si les trains circulent de manière flexible, le personnel ne peut plus recevoir de rotation avec des tours de service. 

Des programmes de répartition numériques doivent à l'avenir attribuer le travail au personnel. Les abréviations de ces programmes sont SOPRE, CAROS, RailCORE et IPP. Comme pour toutes les entreprises fédérales, ce sont des gouffres financiers risqués.

Il semble que le système IPP des CFF finira par obliger le personnel à se voir attribuer une plage horaire fixe plutôt qu'un temps de travail obligatoire. Nous voyons ici un grand potentiel de conflit. Car nous ne considérons pas qu'il est de notre devoir de creuser notre propre tombe sociale pour un manque de connaissances spécialisées et en raison de nouvelles contraintes numériques. Si une fenêtre horaire de douze heures de travail potentiel donne également douze heures de temps de travail, alors nous sommes sur la même longueur d’onde…

D'une manière générale, il convient de noter que la plupart des systèmes de répartition reposent sur le principe suivant : le dernier maillon de la chaîne est le dindon de la farce. Ce n'est pas ainsi que se présentent les solutions économiques et sociales qui doivent minimiser la société à deux vitesses dans les entreprises. Si les entreprises et leurs financiers et autres contrôleurs de gestion dominent les paramètres, nous n'obtiendrons pas de réels progrès.

De plus, nous apprenons que la loi sur la durée du travail (LDT), qui est globalement entrée en vigueur en 1971 et n’a été que peu adaptée depuis, devrait être détériorée. Pour rappel, la loi prévoit toujours une semaine de six jours et cinq jours de congé par semaine de vacances. 

Des adaptations aux exigences modernes de la LDT et de l'ordonnance correspondante sont plus que nécessaires. L'augmentation massive du trafic la nuit, les charges plus élevées en service, les vitesses plus élevées et les trajets plus longs pour se rendre au travail en sont par exemple des raisons légitimes. 

Et peut-être la loi devrait-elle tout simplement être adaptée aux réalités de la société. Même si quelques entreprises de remontées mécaniques touristiques pourraient avoir quelques petits problèmes à ce sujet certains jours bien spécifiques de la saison...

A l'occasion de la rencontre avec le DETEC sur le trafic international de voyageurs (TIV), le VSLF a proposé des adaptations de la LDT, notamment pour que les entreprises ferroviaires suisses et étrangères soient mises sur un pied d'égalité. 

Le VSLF n'est malheureusement pas représenté au sein de la commission LDT. 

 

Relève

La problématique du recrutement de nouveaux mécaniciens et de nouvelles mécaniciennes s’accroit. 

Nous sommes actuellement confrontés à une importante vague de départs à la retraite. Le recrutement pour ce métier à la fois beau et dur n'est pas facile et l'époque des employés engagés à 100% pendant des décennies est également révolue. 

La tendance actuelle veut que de plus en plus de mécaniciens s'éloignent de la cabine de conduite pour aller occuper des postes de bureau, qui se multiplient. Ils se construisent un deuxième emploi et s'éloignent des horaires irréguliers, toujours plus monotones et contraignants. Et ce, souvent pour un salaire plus élevé. Alors quand, en plus, les ressources en personnel ne sont pas correctement réparties sur les trains en raison de l'incompétence des services de planification, la situation peut rapidement basculer. 

Les Chemins de fer rhétiques (RhB) vivent actuellement leur Waterloo des mécaniciens, comme les CFF en 2019. Actuellement, des mécaniciens sont prêtés aux RhB par le BLS et d'autres compagnies ferroviaires. De toute évidence, les mécaniciens sont désormais aussi des intérimaires. 

Trois facteurs peuvent rendre le métier attractif et porteur d'avenir : le salaire, la variété et les horaires de travail. En ce qui concerne la variété et les horaires de travail, des solutions plus intelligentes sont nécessaires. Mais celles-ci ne doivent pas nécessairement être de nature numérique.

Pourquoi les mécaniciens de locomotive du BLS peuvent-ils aller aux RhB, mais les mécaniciens de locomotive du SOB ne peuvent pas conduire les trains des CFF et inversement ?

Pourquoi les mécaniciens de Thurbo ne peuvent-ils pas conduire des trains CFF et inversement ?

Et pourquoi les mécaniciens Tilo ne peuvent-ils pas conduire des trains CFF et inversement ?

Pour certains trains, une conduite mixte avec différents mécaniciens se fait apparemment tous les jours sans problème. Mais pour la plupart des trains, ce n'est pas possible. Par principe. La réponse à cette impossibilité est simple : certains ne veulent pas. Des postes seraient supprimés et certains affaibliraient leur propre pouvoir. 

Si nous ne permettons pas aux jeunes collègues d’avoir davantage de variété avec plus de trajets différents et plus de véhicules parce que l'on veut économiser quelques centimes sur la formation, on le paiera par un turnover croissant.

En connaissant davantage de lignes et de véhicules, on a automatiquement plus de flexibilité dans la répartition du travail et, pour le personnel, plus de conciliation possible entre vie familiale et professionnelle. Et en plus, on gagne de la stabilité et de la flexibilité dans l'affectation du personnel en cas de perturbations, d’interruptions de lignes et de travaux.

Jusqu'à présent, ces liens ne sont pas compris. Et il n'y a pas non plus intérêt à les comprendre. C'est dommage, mais tant qu'il y aura des moyens financiers pour ces doublons, il n'y aura malheureusement pas de progrès dans ce domaine. 

 

ETCS / digitalisation du chemin de fer / attelage automatique

Des moyens financiers importants permettent à la branche ferroviaire de travailler sur les projets numériques les plus divers. Le tout approuvé et généralement financé par l'OFT. 

Nous nous épargnerons aujourd'hui d'évoquer les trains autonomes, la manœuvre automatique et d'autres élucubrations. 

Tout le secteur se fourvoie. Les nombreux systèmes numériques n'ont pas résolu les problèmes, mais ont créé de nouvelles interfaces et engendré des coûts importants. L'ETCS commence à entraver l'exploitation de manière très concrète et déclenche des coûts de plusieurs dizaines de milliards. Nous ne pouvons pas nous permettre ces deux choses. 

Nous avons élaboré pour vous, Monsieur le Conseiller fédéral Rösti, un dossier ETCS présentant la problématique globale liée à l'ETCS en Suisse et en Europe. Vu les sommes importantes que nous dépensons ici, il s'agit certainement d'une lecture qui peut se révéler intéressante pour vous. 

Il faut encore préciser ici que l'attelage automatique, qui bénéficie de moyens financiers importants, permet de relier directement les wagons.

Mais il faudra tout de même procéder à un essai de frein. Un système numérique doit être utilisé à cet effet. Une liste numérique des wagons doit permettre de garantir que tous les wagons sont bien reconnus lors de l'essai de frein. Et c'est justement cette liste numérique des wagons qui a posé de gros et substantiels problèmes de sécurité à CFF Cargo. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'OFT a voulu retirer le certificat de sécurité de CFF Cargo en tant qu’entreprise ferroviaire. Ce même office fédéral qui est aussi l'autorité de surveillance des chemins de fer en Suisse. 

Dans les chemins de fer et chez CFF Cargo, il existe des services bien développés qui sont uniquement responsables de la sécurité, de la qualité et de l'environnement. Ce sont précisément ces départements qui seraient responsables d'éviter de telles situations. 

D'une part, nous élevons le niveau de sécurité de l'ETCS à l'infini et, en même temps, nous relativisons par exemple l’importance des moyens de freinage mécanique. Certains systèmes auraient le niveau de sécurité des centrales nucléaires mais en même temps, tout dépend de la saisie des données correctes par le mécanicien de locomotive. Et ces données proviennent de systèmes peu fiables, d’un niveau qui correspond à peu près à la fiabilité des prévisions météorologiques pour le lendemain.

Si, en plus, les exigences de sécurité du personnel sont affaiblies par des processus irréfléchis, cela devient dangereux. Les usines Boeing peuvent en témoigner.

Lorsque, comme il y a un mois à Zurich, on part à 3h du matin avec un train spécial vide pour le carnaval de Lucerne parce que les passagers potentiels n'ont pas pu entrer dans la gare dont les accès étaient fermés, c'est le résultat d’une fidélité aveugle aux processus et de la mise à l'écart du bon sens. Ce n'est pas bon. 

 

Innovation

Mais il existe aussi des solutions numériques ingénieuses. L'une d'entre elles est le programme vPro qui complète les marches du personnel des locomotives. 

Initié par un mécanicien de locomotive en collaboration avec des professionnels de l'exploitation, de l'infrastructure et de l'horaire. Un projet oneCFF. Probablement le seul jusqu'à présent. 

L'idée de base n'est pas d'essayer de contrôler les trains de l'extérieur avec des signaux, ETCS, TMS et autres systèmes comme on le ferait avec une maquette. Il ne s'agit pas non plus de viser la flexibilité de l'horaire. Bien au contraire. 

Grâce à la perfection et au respect précis de l'horaire par le mécanicien de locomotive, les trains circulent avec plus de précision. Cela garantit plus de stabilité, plus de prévisibilité, plus de trains et donc plus de capacité. Si tous les trains se dirigent de manière exacte et précise en direction d’un nœud, ils peuvent logiquement s'insérer plus facilement et de manière plus fluide dans le trafic. 

La base est que jusqu'à présent, le mécanicien de locomotive conduisait selon son expérience et, en raison d'arrondis faits à la minute, avec une relative imprécision. 

Le mécanicien de locomotive peut conduire beaucoup mieux, mais il a besoin pour cela d’informations précises en direct. Cela faisait défaut jusqu'à présent. 

Avec l'affichage de la ponctualité avec + et - secondes, il est possible de rouler avec une précision maximale à la seconde près. 

La colonne de vitesse vPro permet au mécanicien de locomotive de rouler à la vitesse moyenne calculée lorsqu'il est ponctuel. En fonction de l'expérience, du profil de la ligne et de la prise en considération de tous les autres facteurs externes.

Cela permet d'économiser de grandes quantités d'énergie et d'obtenir un trajet plus fluide et plus agréable. Le mécanicien de locomotive a ainsi la garantie que son train n'est pas en avance ou en retard et qu'il ne gêne pas un autre train.

L'humain et son expérience sont ainsi placés au centre et utilisés à bon escient. Et en plus, l'instinct joueur naturel de l’être humain est utilisé. 

Le système présente malheureusement deux inconvénients majeurs et irrémédiables : d'une part, le système fonctionne parfaitement et ne nécessite pas d’être testé, adapté, amélioré pendant des années et d’autre part, il n'a pratiquement rien coûté. Il est pour ainsi dire gratuit. 

Créer de la capacité, atteindre la précision et économiser efficacement de l'énergie en un seul processus. Et cela sans investir des millions ou des milliards.

Et notez bien que grâce à vPro, nous sommes plus précis que les Japonais. Et ce, dans le cadre d’une exploitation mixte entre tous les trafics. C'est de l'innovation suisse. 

Conclusion 

Nous vous remercions, Monsieur le Conseiller fédéral Rösti, pour l'intérêt que vous portez au personnel des locomotives et au VSLF. Chaque année, un nombre imposant d'invités de tous les niveaux hiérarchiques de tous les chemins de fer, de l'industrie et d'autres partenaires viennent à notre assemblée générale. Cela ne va pas de soi et nous considérons que c'est une grande marque d'estime envers le personnel des locomotives. 

L'estime seule ne suffit pas à résoudre les problèmes. Mais le respect et la bienséance sont toujours une bonne base sur laquelle on peut construire de manière constructive. C'est à peu près le partenariat social suisse que nous entretenons. 

Il y a deux ans, nous avons vu chez CFF Cargo International que, sans accord pour une nouvelle CCT, la partie patronale a simplement signé une nouvelle CCT avec les autres partenaires sociaux. Juridiquement, c'est peut-être possible, mais du point de vue du partenariat social et de l'entreprise, c'est assimilable à une déclaration de faillite. Le personnel n'y verra pas une juste appréciation de son travail. 

La question qui se pose ici est de savoir quels sont nos souhaits et nos exigences envers notre chef du département du DETEC. C'est une bonne question. 

Nous voyons beaucoup de ratés, nous voyons beaucoup d’idées diverses et variées, nous voyons beaucoup de parallèles inutiles. Nous avons toujours plus de prescriptions, de normes, de règlements et de recommandations. Et nous avons des besoins financiers toujours plus importants pour des prestations dont la qualité n’a que partiellement augmenté.

L'automatisation et la numérisation n'ont pas tenu leurs promesses et, aujourd'hui encore, nous ne voyons pas de nouveautés révolutionnaires. Mais des coûts énormes, récurrents et inutiles.

 

Le chemin de fer coûte quelque chose tout en rapportant beaucoup à l'économie nationale. Mais le système est en grande partie déjà inventé. Produire un transport ferroviaire de qualité et solide n'est pas spectaculaire et c’est même ennuyeux. Mais c'est utile. 

Malheureusement, les chemins de fer sont aussi devenus le terrain de jeu de ce qu'une PME ne pourrait jamais se permettre. Nous ne voyons pas assez d'esprit d'entreprise dans les chemins de fer. Tous les décideurs ne pensent pas comme des dirigeants ou des actionnaires mais comme de simples employés.

De l'Office fédéral des transports, en passant par les conseils d'administration et les directions, jusqu'au plus bas de la hiérarchie, il faut à nouveau se poser la question : 

- Est-ce que ça sert à quelque chose ? 

- En avons-nous besoin ? 

- Est-ce qu'on pourrait s'en passer ?

Ce dont nous avons besoin, c'est d'un personnel motivé, de règles simples et logiques et d'une technique simple, solide et sûre. Le reste peut être supprimé en toute tranquillité. 

Actuellement, je ne vois aucune chance d'atteindre ces objectifs. Au contraire. Peut-être que dans 5 ans, lorsque tous les concepts et visions auront atteint leur plein développement en termes de coûts et de problèmes réels, il pourrait devenir intéressant pour le VSLF d'apporter des solutions grâce à son expertise indépendante. Nous sommes à disposition.

Notre objectif en tant que mécaniciens de locomotive est d'être productifs à un niveau décent. Tout soutien dans ce but est le bienvenu. 

Merci pour votre intérêt.

Hubert Giger
Président VSLF
 


Discours Raoul Fassbind, comité central VSLF

Mesdames et Messieurs les invités, chères et chers collègues,

J'aimerais également vous saluer tous très chaleureusement dans le cadre de notre assemblée générale, ici dans la pittoresque ville de Fribourg.

Certains se souviennent peut-être que mon discours de l'année dernière portait essentiellement sur le thème de la peur et sur les modèles de comportement irrationnels qui peuvent en découler. J'essaie à présent de poursuivre et d'en déduire des solutions possibles. 

Afin de donner à la numérisation l'espace désormais habituel, je me suis donc renseigné auprès de ChatGPT sur la manière de gérer la peur. ChatGPT donne des réponses comme la sérénité, la confiance en soi, l'acceptation, la flexibilité. Il est intéressant de constater qu'il s'agit là de compétences clés du personnel de terrain. 

Personnellement, attention cela peut surprendre et ce sera le fil conducteur d'aujourd'hui, j'essaie de m'y opposer en faisant preuve de courage. Qu'est-ce donc que le courage ?

Le courage est la qualité qui permet de se dépasser, de relever des défis et de sortir des schémas de pensée habituels. Il faut du courage pour affronter ses peurs et aller de l'avant malgré les incertitudes, pour remettre en question les chemins empruntés et réévaluer les situations habituelles, pour s'élever contre les conventions et les normes, mais aussi pour montrer des alternatives et les défendre.

Dans la vie quotidienne et professionnelle, nous sommes constamment confrontés à de l’irrationnel, à un manque de logique et à des contradictions. C'est précisément dans l'environnement complexe d'une exploitation ferroviaire que l'on y est constamment confronté. D'une part, les situations d'exploitation et les thèmes spécifiques sont stimulants, d'autre part, l'exigence en matière de niveau de sécurité est l'une des plus élevées. 

Alors que nous essayons de produire le trafic ferroviaire le plus complexe et le plus fiable du monde, nous sursautons avec effroi à chaque incident comme de jeunes chevreuils et déployons des efforts considérables pour les éviter avec véhémence. Les normes, processus et directives qui en découlent font toutefois de plus en plus souffrir la qualité de l'exploitation.  

Permettez-moi de faire une petite digression, peut-être superflue, sur l’organisation des services de sécurité et de leurs modèles de pensée présumés dans l'exploitation ferroviaire. 

L'autorité d'enquête de la Confédération, le SESE, a pu se présenter dans le cadre de l'AG de l'année dernière. Il dépend indirectement du Conseil fédéral et est rattaché administrativement au DETEC. Il est considéré comme indépendant, enquête en premier lieu sur les incidents et élabore sur cette base des recommandations d'action.

De manière générale, l'Office fédéral des transports fixe les règles du jeu, mais en tant qu'autorité de surveillance, il est également confronté aux responsabilités qui en découlent. Ce schéma a induit le mécanisme récurrent de charger les entreprises de transport ferroviaires (ETF) elles-mêmes de l'élaboration de processus et de directives, mais aussi de leur déléguer d’une certaine manière la surveillance de l’exploitation. L'OFT ne surveille donc plus que la surveillance, mais peut la critiquer ouvertement et attribuer des torts et des responsabilités presque à volonté. 

Les ETF ont donc mis en place divers services de sécurité. Aux CFF, par exemple, c’est le cas au niveau du groupe mais aussi dans de nombreuses unités qui gèrent leurs propres organes de sécurité semi-indépendants. Ils servent à analyser les événements et à les évaluer voire, dans le meilleur des cas, à émettre des directives d'action en collaboration avec les directions des unités. Bien entendu, le contexte de la diffusion de la responsabilité qui en résulte et du potentiel de conflit auquel on peut s'attendre est bien présent. Les cas complexes sont laissés au personnel d'exploitation doté d'un savoir-faire afin de trouver une solution adéquate à la situation. 

Ce qui m'amène à me demander ce qui manque au personnel pour qu'il ne puisse pas reconnaitre lui-même de manière adéquate les possibilités de solution qui ne seraient pas conflictuelles ou même plus simples ? Ce ne peut être le savoir-faire, ni l'autonomie. Est-ce le manque de compétence hiérarchique, le manque de temps pour s'occuper des problèmes à long terme ou la classification trop basse de son niveau de fonction dans le système salarial ? 

On pourrait donner au moins l'échelon de la grille salariale supérieur, les coûts étant compensés par les économies sur les services de sécurité devenus superflus. Les deux autres pistes nécessitent probablement des interventions trop lourdes en termes de politique du personnel. Et n’oublions pas que quelqu'un devra toujours conduire le train.

Assez de polémique… où en étais-je ? Ah oui, justement, au courage. 

La semaine dernière, le CEO des CFF Vincent Ducrot a par exemple fait preuve de courage en critiquant ouvertement le développement et le financement de nouveaux projets ferroviaires et le rôle de la politique derrière ces projets. A-t-il d'abord craint son action courageuse ? Je n'en suis pas sûr, laissons cela en suspens. Mais au moins, il tente de s'opposer à un mécanisme bien rodé de lobbying et de consensus social. Chapeau ! 

Il a reconnu à juste titre le lien entre un réseau ferroviaire plus étendu et l'augmentation des frais d'entretien. Mais dans son argumentation, il a également soutenu un trafic cadencé plus dense avec de nombreux trains supplémentaires. 

Mais les trains aussi s’usent et pèsent sur l'infrastructure pendant leur marche. Il y a donc là aussi une corrélation entre l'augmentation du trafic et celle de l'entretien, mais elle semble avoir été oubliée. Une erreur peut toujours arriver...

Cela montre de manière exemplaire que le courage ne suffit pas à résoudre les problèmes. L'environnement complexe des chemins de fer requiert justement beaucoup de connaissances techniques et de clairvoyance. Des solutions semi-improvisées, comme aussi de nouvelles lignes ferroviaires coûteuses, doivent plutôt servir le facteur environnemental du report modal. Les nouveaux concepts tels que la cadence au quart d'heure proposée pour toute la Suisse par Vincent Ducrot sont certes séduisants, mais on oublie malheureusement que l'infrastructure ferroviaire a été conçue ces trente dernières années en fonction du concept Rail2000. 

Toute l'infrastructure, avec de nouvelles lignes, de nouveaux aiguillages, de nouvelles diagonales d’échange, de nouveaux signaux et de nouvelles installations de gare, a été explicitement conçue en fonction du système de nœuds.

Ce système doit à présent être bouleversé. Pour obtenir une cadence au quart d'heure sur l'ensemble du territoire, il faut donc de nouvelles lignes, de nouveaux aiguillages, de nouvelles diagonales d’échange, une nouvelle signalisation et de nouvelles installations dans les gares. En outre, les « anciennes » nouvelles infrastructures continueront d'être exploitées, ce qui augmentera les frais d'entretien. 

Ces brèves considérations superficielles montrent donc qu'un système de transport ferroviaire est tout de même un peu plus complexe qu'on ne l'imagine. Est-il donc courageux de remettre en question publiquement un concept existant qui fonctionne plutôt bien et d'en proposer un nouveau qui présente des défauts et des points forts comparables et qui n'est même pas moins cher ? 

Serait-il plus courageux de défendre le concept actuel et d'accepter les limites du système ? Ou serait-il même plus courageux de jeter aux orties toute la mentalité de gestionnaires et de maintien d’emploi et de revenir à plus de simplicité et de se concentrer sur l'activité principale ? En d'autres termes, tirer le meilleur parti de la situation actuelle ? 

Je ne sais pas, je ne fais que penser tout haut, mais ce que je dis ici n'a pas beaucoup d'importance : à Berne j'ai encore moins d'influence que le CEO des CFF. Mais je lui reconnais le mérite d'essayer au moins de remettre en question les errements actuels.

Je remarque également que diverses autres solutions sont abandonnées, ou en tout cas pas approfondies. Je remarque qu'il est très facile de s'occuper des problèmes et que si ceux-ci se développent de manière problématique, il est encore plus facile de les mettre sous le tapis. Je remarque que le courage disparaît rapidement dès qu'il faut prendre position. Dès que la responsabilité est engagée. Dès qu'une partie prenante pourrait éventuellement être compromise, par peur de devoir se justifier. Ce n'est tout de même pas trop demander que de penser de manière non conventionnelle et de remettre en question les choses existantes ?

Il y a vingt ans à peine, la règle voulait que l'on oblige presque les mécaniciens de locomotive à prendre leur retraite. Aujourd'hui, les plus âgés aspirent à la retraite, le plus tôt sera le mieux. Beaucoup de jeunes se construisent une deuxième source de revenus avec plus de diversité, plus de liberté et plus de week-ends libres. Dans la formation interne, dans l'infrastructure, dans la planification du personnel et des locomotives, dans la répartition, dans la direction ou ailleurs. A cela s'ajoute une fluctuation accrue qui en éloigne encore d’autres de la profession et des chemins de fer.

Comment se fait-il qu'en l'espace de quelques années, un métier de rêve se distancie à ce point de cette notion ?

Il est frappant de constater que le personnel des locomotives n'est pas le seul à être touché par ce changement. Le problème se pose également pour le personnel enseignant, les médecins, le personnel soignant et bien d'autres professions traditionnellement valorisées. Ce sont en principe toujours des professions formidables, au front et en contact direct avec les gens. Ils sont utiles, importants pour le système et gratifiants. 

Entre-temps, des symptômes tels que de nouvelles structures de processus, des normes plus strictes, des marges de manœuvre plus étroites, une pression croissante sur les coûts, une pression concurrentielle construite et une baisse de l'estime de la société pour ces emplois se sont toutefois répandus partout. Cela se traduit par une augmentation de la bureaucratie, des applications, des outils, des gains d'efficacité, une ergonomie fictive, un manque de respect et une volonté d'optimisation de toutes sortes. Et bien sûr, toujours sous la surveillance d'un contrôle de gestion complet. Introduit et exploité par des employés spécialement créés à cet effet dans les domaines professionnels qui en découlent et qui sont éloignés des emplois d'origine. On génère donc des coûts pour économiser des coûts, mais à un moment donné, le citron est pressé.

Et finalement, il est surprenant de constater qu'il est de plus en plus difficile de recruter du personnel motivé pour les métiers « ouvriers » importants à l'origine, alors que les métiers administratifs et de conseil en sont submergés.

Nous tenons à remercier encore une fois les entreprises pour la progression salariale du personnel en dix ans, mais n'y a-t-il pas encore une marge de progression ? 

Les entreprises semblent savoir que le personnel des locomotives, contrairement aux employés de bureau, ne peut pas choisir librement entre divers employeurs. On a longtemps misé sur cette carte de l'absence de concurrence, mais elle deviendra inutile si seuls quelques-uns se décident à long terme pour cette profession. Le VSLF, dans son rôle de partenaire social, est heureux d'aider à remédier à cette situation.

En tenant compte justement du fait que le personnel des locomotives, qui travaille dans la perfection absolue, est particulièrement en ligne de mire. Et ce n'est pas une exagération. Chaque minute, voire chaque seconde de notre travail quotidien est saisie, enregistrée, attribuée, évaluée et extrapolée. Chaque action est surveillée et la culture de l'erreur, déficiente, suppose que l'on doive se dénoncer et se justifier même au moindre faux pas. La peur des représailles l'emporte sur la joie d'être soutenu et de pouvoir se rattraper.

Ainsi, si l'on n'apparaît en permanence que comme un objet d'optimisation et de flexibilisation possible dans des tableaux Excel, si chaque minute de trajet entraîne des pertes de productivité prévisibles et si l'on n'est plus considéré que comme un facteur de coût et un risque pour la sécurité, cela témoigne d'un manque d'estime, d'une baisse d'attractivité et d'une motivation moindre pour la profession. 

Ces facteurs négatifs doivent être compensés. Essayez donc de gagner plus d'argent ou de réduire les temps, vous aurez alors plus de marge de manœuvre pour les exercices d'économie du contrôle de gestion. Et cela génère aussi la sécurité de l'emploi pour le contrôle de gestion. Gagnant-gagnant.  

Par ailleurs, la masse salariale du personnel des locomotives est effectivement plutôt marginale dans le contexte global de toutes les masses salariales et de toutes les charges d'exploitation. Une nette optimisation permettrait rapidement de compenser le déséquilibre entre l'excédent de personnel administratif et le manque de personnel qualifié, soyez courageux, je suis confiant sur le fait que cela marchera.

A propos de courage, il existe d'innombrables autres domaines dans lesquels une action courageuse, non conventionnelle et non conceptuelle peut apporter des succès.

Par exemple, l'automne dernier, le VSLF s'est vu confronté à une lettre de menace anonyme et méprisante contre une seule collègue. Elle a été compromise dans ses compétences professionnelles, son comportement privé, sa famille, sa santé et ses plans de carrière. 

En principe, l'employeur propose certes des mesures à ce sujet, comme le système de signalement confidentiel ou le traitement du cas via les supérieurs ou les RH. Nous avons toutefois décidé d'aborder ouvertement la situation dans le cadre d'un grand comité, avec l'accord des personnes concernées et en leur présence. Il est probable que l'auteur de la lettre lâche, qui ne s'est toujours pas identifié, n'était pas présent, mais le soutien et la grande indignation ont témoigné du fait que la décision courageuse d'aborder publiquement le sujet était la bonne voie. Le soutien à la collègue a été écrasant, l'indignation authentique et justifiée.

Personnellement, j'étais d'avis, au début, de passer la situation sous silence et de ne pas offrir de plate-forme à ce misogyne manifestement complexé. Le risque que la situation échappe à tout contrôle était trop grand pour moi. Je n'ai pas été courageux, j'ai eu tort. 

Une autre situation s'est présentée il y a quelque temps en Suisse centrale lorsqu'une collègue s'est sentie harcelée par un supérieur hiérarchique, probablement en raison de ses conversations et questions intimes ainsi que de sa tendance à toucher l'épaule de manière récurrente. Elle a choisi la voie hiérarchique. Aujourd'hui, tous deux sont toujours employés par les CFF, mais plus à leur lieu de travail habituel. Quelle était la solution ? Compromis, déni, dissimulation, clarification ? Le courage aurait-il été utile dans cette situation ? Si oui, de quelle manière ? 

Je ne peux pas le dire exactement. Peut-être le courage d'aborder un événement désagréable de manière bilatérale ou peut-être le courage d'affronter seul une personne hiérarchiquement supérieure ? Je ne pense pas. Je suppose que la situation a dégénéré, car il peut être très difficile pour une femme de se sortir correctement de cette situation. 

L'empreinte historique est trop forte. En tant que femme, on doit accepter la tradition, toute autre attitude serait une réaction excessive. Les attitudes qui consistent à toucher une femme et à faire passer cela pour un geste collégial ou un compliment sont trop fortement ancrées. Et si l'on se comporte de la même manière avec un collègue masculin, on se retrouve presque confronté à sa propre homosexualité théorique. 

Vous voyez, le champ d'action est vaste pour se faire remarquer par des approches courageuses. Ou pas. Ne sommes-nous pas incroyablement perdus dans ce débat sur les genres ? Faut-il être borné pour croire qu'un quota de femmes compensera des siècles de négligence et d'oppression ? Quelle naïveté de croire qu'un quota remédiera à la pénurie de personnel qualifié ? D'autant plus que les quotas ne permettent même pas forcément de générer du personnel adéquat pour les postes vacants. Pour autant que ce luxe soit applicable compte tenu de l'incroyable manque de personnel qualifié ou justement de l'excédent de personnel administratif. 

Mais cela permet également de créer un potentiel de conflit supplémentaire entre les personnes prétendument privilégiées et celles prétendument laissées de côté. Quiconque a déjà reçu une réponse générique des RH à une candidature rejetée peut à peu près s'imaginer l'ampleur de la marge d'interprétation. 

Ne serait-il pas souhaitable de créer un ensemble social harmonieux, égalitaire, contemplatif et synergique ? 

Appelons cela du respect mutuel. Appelons cela l'égalité des chances.

D'ailleurs, si vous assistez cet après-midi à la partie interne de l'AG, vous constaterez que le comité directeur du VSLF est composé exclusivement d'hommes. Est-ce un problème ? Non. D'une part, nous recrutons nos membres actifs parmi le personnel existant au sein de la profession, d'autre part, nous n'avons pas besoin de quotas de femmes, car nous n'en avons pas ou ne voulons pas en avoir. Ceux qui travaillent chez nous le font en raison de leurs compétences professionnelles et de leur force de caractère.

Merci beaucoup.


Rede Matthieu Jotterand, Präsident Sektion Genf

Chères et chers invités,
Chères et chers membres,
Sehr geehrte Gäste,
Sehr geehrte Mitglieder, 

Je vais vous dire quelques mots en tant que président de la section genevoise du VSLF, un canton où le trafic ferroviaire a connu une croissance immense ces dernières années, principalement par le biais d’un projet dont tout le monde ici a probablement entendu parler de près ou de loin, le « CEVA », qui s’est mué en Léman Express. 

Dans le domaine ferroviaire en Romandie, nous avons bien dormi pendant toute la deuxième moitié du XXe siècle et nous nous réveillons maintenant en sursaut. Un réveil peu agréable, quand on constate la montagne à gravir en termes de rattrapage ferroviaire !

La ligne Genève-Lausanne, 60 km, a impérativement besoin d’un doublement et nous allons passer un siècle à le faire par tronçon, alors que la longueur est comparable au tronçon Rail 2000 Berne-Olten !

Le développement des infrastructures régionales, pour le trafic marchandises et la nécessaire accélération de certains temps de parcours, sans parler de la délicate modernisation des nœuds ferroviaires, vont transformer le réseau ferroviaire en chantier permanent. 

Une chose est ainsi certaine : le ferroviaire est en pleine croissance et à n’en pas douter la tendance n’en est à qu’à ses débuts, en considérant le nécessaire report modal de la route au rail qui devra avoir lieu ces prochaines décennies.

Et là au milieu, se trouve le cheminot ! Même si certains politiques pensent que l’automatisation résoudra tout, nous sommes ici convaincus que tous les mécaniciens ici présents verront l’AVS avant les trains autonomes !

Nous avons donc, nous cheminots, la chance d’être dans un domaine en pleine croissance, où le travail restera abondant ces prochaines décennies. Une chance toutefois précaire, car liée à une pression constante sur les conditions de travail.

Je souhaite donc vous adresser quelques mots par rapport aux conditions de travail, en particulier celles liées au temps de travail, nécessaires d’une part à la conservation du personnel dans l’entreprise – et en bonne santé ! – et d’autre part au recrutement de la relève.

D’une manière générale, le secteur des transports publics en Suisse est soumis à une grave pénurie de personnel, qui se prolonge. De nombreux réseaux n’arrivent plus, depuis plusieurs années, à couvrir l’ensemble des prestations et des courses, quand ce ne sont pas des lignes entières qui sont supprimées, faute de personnel. 

Dans le chemin de fer, la tension sur les effectifs est palpable, même si elle s’est un peu apaisée ces derniers mois. En effet, les conditions de travail « en site propre », les salaires un peu plus élevés et le côté passionnel du métier pour une part des employés permettent un recrutement légèrement plus facile que dans le domaine routier. 

Pourtant, malgré cela, des trains ont dû être supprimés ces dernières années et des extensions de l’offre sont repoussées, faute de personnel en suffisance. Notons également que les conditions salariales lors de la formation ont connu une forte augmentation, preuve que la relève ne se nourrit pas (uniquement) de rêve ferroviaire. 

Des extensions de l’offre disais-je ? Revenons-y quelques instants. En effet, en trafic régional, les commanditaires exercent une forte pression pour augmenter les cadences et étendre les plages horaires, en particulier dans les zones urbaines. 

Je prendrai l’exemple de Genève, mais l’on retrouve ces tendances ailleurs. Le Léman Express, ouvert en 2019, avait comme objectif de fréquentation à moyen terme 50'000 passagers/jour. Début 2024, après seulement cinq ans d’exploitation, il y en a… 80'000. 

Les trains débordent et la demande, très urbaine autour de Genève, mais aussi Annemasse et Annecy, se répartit sur l’ensemble des jours de la semaine et des heures de la journée. 

Le Canton de Genève souhaite élargir l’offre en déployant des trains au quart d’heure jusqu’au dimanche soir compris, aussi sur les tronçons moins centraux et offrir des trains toute la semaine, toute la nuit !

Et là au milieu, se trouve le cheminot !

Soyons clairs: le travail de nuit a toujours existé dans les chemins de fer et il est inhérent à ce domaine d’activité. Cependant, il existe différentes manières de travailler de nuit et des adaptations sont possibles et même nécessaires. 

Pourtant, depuis le début du siècle en particulier, le trafic s’est intensifié la nuit et en particulier les trains régionaux circulent tard le soir et tôt le matin, voire toute la nuit. Les tours de service correspondants sont dessinés de manière très théorique et sans égard sur la pénibilité de ces heures nocturnes sur le corps humain. 

Aujourd’hui, travailler à temps partiel est presque devenu la norme, parfois choisie et souvent contrainte, représentant alors une baisse de salaire sensible. Les modèles de travail restent dans leur ensemble extrêmement rigides et c’est au mécanicien de s’adapter. 

La digitalisation n’a été introduite que pour le bénéfice de l’employeur : possibilités de changements de tours infinies, contrôle du temps de travail (et gain de productivité réel ou espéré qui en découle). Toute la partie qui aurait pu bénéficier aux employés pour avoir des horaires qui leur correspondent mieux a été abandonnée, voire oubliée dès le début. 

Quand l’on sait que cette évolution s’est faite en parallèle de la preuve scientifique que le travail de nuit est cancérigène probable, au même titre par exemple que le plomb, il s’agit même d’un devoir de protection de la santé des employés que les entreprises de transport ferroviaire ne remplissent pas.  

A court terme, il s’agit d’une problématique pour les employés mais à long terme le problème se pose également pour l’ensemble du système de transport public et donc bien sûr pour les usagers et les usagères. Il est donc dans l’intérêt de tout le monde de rendre ces métiers praticables. 

Aujourd’hui. Parce que aujourd’hui, nous n’arrivons pas en Suisse à produire le 100% de l’offre de transports publics souhaitée dans de nombreuses villes et avec le départ des baby-boomers il est probable que cela touche aussi les principales compagnies ferroviaires, certaines compagnies régionales étant déjà touchées. De même, bien que le contexte était hautement particulier, les suppressions de trains faute de personnel durant le Covid y compris dans les plus grandes compagnies restent inexcusables. 

Il est grand temps que les employés de terrain, ceux qui ont un travail de production, les ouvriers, touchent aussi leur part des fruits de la « digitalisation ». Prenons l’exemple des horaires de travail, qui représentent une part importante des conditions de travail lorsqu’ils sont irréguliers. 

Les employeurs ont « digitalisé » les plannings pour pouvoir les modifier à volonté. Pour pouvoir calculer à la minute le temps de travail. Pour renforcer la productivité. Cela aurait pu être utilisé aussi pour rendre certains horaires plus vivables, permettre des rotations plus adaptées aux besoins de chacun. Il n’en a rien été jusqu’à aujourd’hui. 

Même si les horaires irréguliers sont rudes et méritent une compensation temporelle supérieure à celle qu’ils connaissent aujourd’hui, ils ont aussi des avantages et je reste intimement convaincu qu’il est tout à fait possible que les entreprises de transport ferroviaire deviennent, ou redeviennent, des employeurs attractifs pour leurs employés actuels et futurs. 

Le report modal incluant le très fort développement des transports publics ne pourra se faire qu’à ces conditions.

Dans la perspective du report modal, nous devons avoir un système de transport robuste, où les employés amènent une plus-value et non une charge, cela semble logique. Est-ce mis en œuvre ? Pas vraiment, c’est le moins que l’on puisse dire. 

Pendant que le mécanicien est planifié à la minute près, à chaque instant et géolocalisé précisément, une autre partie des employés profite elle à plein des effets de la digitalisation. Télétravail, nouveaux projets « numériques » qui n’ont pour seul fondement que cet aspect et la sacro-sainte Innovation et non les besoins. Ce sont des gens qui sont payés par les usagers et les contribuables, sans qu’il ne soit réellement évalué s’ils contribuent à faire avancer les trains, au sens propre ou figuré, directement ou indirectement.

Chaque entreprise développe ses services, que l’on parle de marketing, « d’innovation » qui se suffisent à elles-mêmes ou encore de réinventions continuelles de la roue. Là où au début du XXème siècle la Suisse a nationalisé ses chemins de fer pour créer un système robuste que beaucoup nous ont envié, nous sommes en train de détricoter l’ensemble en ce début de XXIème siècle. 

Comme l’argent, lui, ne tombe toujours pas du ciel, il faut bien compenser cela. Et l’on revient immédiatement vers le mécanicien, dont les prestations sont comptées à la minute près : et s’il allait encore un peu plus vite ? Parce que oui, nous avons un problème : toujours plus d’argent est investi pour les transports publics et la part modale de ceux-ci stagne.

Arrêtons-nous un instant sur la multiplication des entreprises de transport ferroviaire. A qui cela profite-t-il ? Aux usagers ? Non. Aux cheminots ? Au contraire. Aux différents services précités qui ont ainsi d’autant plus de programmes en tout genre, de marketing et autres concepts à inventer ? Oui, puisque ces derniers sont multipliés. De même, au lieu d’une hiérarchie, vous voilà avec plein de hiérarchies, où chacun a une chance de trouver sa place ! 

Les perdants se comptent parmi les employés sur le terrain et les usagers. En effet, l’exploitation est morcelée pour le plaisir des digitaliseurs et chefs de tout poil et une exploitation morcelée perd inévitablement en efficacité et en fiabilité. Pourtant, le tout est soutenu politiquement – peut-être involontairement – par le souhait de créer artificiellement une concurrence. 

Artificiellement pourquoi ? Parce que fondamentalement, le chemin de fer n’est économiquement pas très intéressant, à plus forte raison quand il s’agit d’un service public destiné à être cadencé et à desservir l’ensemble des régions de notre pays. 

Penchons-nous sur la Suisse romande : les CFF ont abandonné de très larges parts de trafic régional dans les cantons du Valais, de Neuchâtel et de Fribourg principalement. La productivité s’en retrouve affectée et ne décolle pas, malgré les nombreux efforts consentis par le personnel. Et dans de petits groupes de personnel, le sous-effectif peut s’aggraver bien plus rapidement. Quelques péripéties dans l’effectif et une entreprise se retrouve déjà incapable de produire ses prestations… à moins qu’un pseudo-« concurrent » ne vienne à la rescousse. Citons par exemple le BLS qui prête du personnel à RegionAlps. 

Ce n’est pas par idéologie politique que le chemin de fer avait été nationalisé par nos ancêtres. C’était par nécessité économique, de manière très pragmatique. Combien de temps allons-nous répéter les erreurs du début du chemin de fer ? Combien de temps allons-nous nous permettre de jeter l’argent par les fenêtres en multipliant les services administratifs ? Les contribuables méritent une meilleure utilisation de leurs deniers !

Le chemin de fer est un système merveilleux lorsqu’il est simple, fiable, efficace et robuste comme la Suisse a si bien su le faire le siècle passé. Nous avons certainement encore la possibilité de revenir à ces standards de qualité et que la population soit à nouveau fière de ses chemins de fer. Cela passera par un changement radical et un recentrage sur les cheminots, pas celles et ceux qui le prétendent dans des articles sur l’intranet mais celles et ceux qui le sont sur le terrain au quotidien. 

Cela passera également par une revalorisation de ces personnes, en termes salariaux et d’indemnité, par exemple pour leur travail de nuit comme évoqué précédemment mais aussi en centrant l’ensemble du système sur l’importance de leurs prestations. 

Pour paraphraser le slogan « OneCFF », il devrait en effet y avoir un seul chemin de fer : celui des cheminots de terrain, au seul bénéfice de la population qui l’utilise!